AUTEUR DE L’ARTICLE
Docteur vétérinaire Thomas CHAVALLE – Dip EVCIM – Oncology
Qu’est ce que l’électrochimiothérapie ? Principe de fonctionnement
L’électrochimiothérapie est un traitement anticancéreux local qui associe l’administration d’une molécule de chimiothérapie non perméante ou peu perméante à l’application d’impulsions électriques (également appelé phase d’électroporation), l’ensemble ayant pour objectif d’augmenter l’absorption de la molécule de chimiothérapie par la cellule tumorale afin de provoquer sa destruction.
L’objectif principal de cette électroporation, aussi appelée électroperméabilisation, est d’exposer la cellule à des impulsions électriques spécifiques, lesquelles vont être à l’origine de deux mécanismes pouvant expliquer l’effet anti-tumoral :
- L’électroporation réversible, durant laquelle les impulsions électriques vont permettre, de façon transitoire, une déstabilisation de la membrane de la cellule tumorale, et ce afin d’augmenter la pénétration de la molécule de chimiothérapie dans la cellule pour potentialiser son effet intracellulaire. Cette potentialisation a été étudiée pour certaines molécules et une activité locale multipliée par 13 pour le cisplatine et par 700 pour la bléomycine a été démontré.
- L’électroporation irréversible, durant laquelle l’application de ces impulsions électriques va être à l’origine d’une perturbation des tissus et de l’intégrité cellulaire, à l’origine de l’apoptose des cellules tumorales.
D’autres mécanismes d’action menant à la mort cellulaire des cellules tumorales sont décrits et reposerait sur :
- L’altération de la vascularisation tumorale : les impulsions électriques provoqueraient des dommages transitoires au cytosquelette et un gonflement de l’endothélium vasculaire, entraînant la mort de certaines cellules tumorales et vasculaires. Secondairement à ces lésions, une diminution du flux sanguin local amène à une diminution de l’oxygénation de la tumeur, entraînant une hypoxie et donc une nécrose des cellules tumorales.
- L’élimination des cellules tumorales résiduelles (non détruites par l’électrochimiothérapie) par le système immunitaire lorsque la fraction des cellules restantes est suffisamment faible.
L’utilisation de l’électrochimiothérapie en pratique
Image 1 : Matériel nécessaire lors d’une séance d’électrochimiothérapie
1- Anesthésie et préparation de la zone de traitement
En médecine vétérinaire tout comme en médecine humaine, l’électrochimiothérapie nécessite une anesthésie adaptée, et ce afin de limiter la douleur et le stress associés à la procédure. La zone tumorale a traiter est ensuite tondue et désinfectée.
2- L’administration de la molécule de chimiothérapie
A l‘heure actuelle, deux molécules sont principalement décrites lors de l’utilisation de l’électrochimiothérapie : la bléomycine et le cisplatine. La bléomycine ne possède cependant pas d’autorisation d’utilisation en médecine vétérinaire sur le territoire français.
L’utilisation de carboplatine a également était décrite récemment lors d’une communication orale en congrès mais seule une efficacité in vitro est décrite pour le moment.
L’agent de chimiothérapie est injecté par voie intratumorale et/ou intraveineuse selon les protocoles décrits. Tout comme lors de chimiothérapie conventionnelle, les mêmes mesures de précautions sont applicables pour la préparation et l’administration de la molécule anticancéreuse.
Aucune étude ne permet de comparer les différentes voies d’administration mais l’administration par voie intraveineuse stricte permet une meilleure protection de l’utilisateur étant donné l’utilisation de système clos.
L’administration d’un agent anticancéreux précède l’électroporation de quelques minutes, permettant à la molécule de chimiothérapie de se répartir dans le système vasculaire et extra-cellulaire de la tumeur. Lors de l’administration par voie intratumorale, l’application des impulsions électriques fait immédiatement suite à l’injection étant le risque d’élimination rapide de la molécule anticancéreuse. Lors d’administration par voie intraveineuse, un intervalle d’environ 5 à 8 minutes est nécessaire avant l’application des impulsions électriques.
3- L’application des impulsions électriques
Après administration de la molécule anti-tumorale, les électrodes sont placées et les impulsions électriques sont délivrées, leurs nombres et le voltage utilisé pour les impulsions pouvant varier selon le protocole utilisé et les appareils d’électrochimiothérapie. Plusieurs types d’électrodes sont disponibles.
L’utilisation d’un gel conducteur (la plupart du temps, du gel échographie est utilisé) est recommandé afin d’améliorer la répartition du champ électrique lors des impulsions électriques et de limiter le risque de brûlure.
Tout comme lors des autres traitements locaux, il est nécessaire de traiter les marges de la tumeur en plus de l’ensemble du volume tumoral, et ce afin de limiter le risque de récidive locale.
4- Soins post-électrochimiothérapie et suivi
L’utilisation d’une antibiothérapie en prophylaxie ou après la procédure apparait limité étant donné le faible risque de développement de surinfections.
Par ailleurs, la mise en place d’un traitement antalgique avec un anti-inflammatoire non stéroïdien est recommandé pendant plusieurs jours. Des soins locaux et la mise en place d’une collerette sont également conseillés.
(A) (B) (C) (D)
Images 2A-D : Différentes étapes du traitement d’électrochimiothérapie concernant la prise en charge d’un carcinome épidermoïde cutané en région cervicale droite chez un chat européen de 9 ans, retiré en marges infiltrées et récidivant 3 semaines après exérèse. (A) Tonte et asepsie de la zone à traiter. (B) Injection intratumorale de carboplatine. (C) Mise en place de gel échographie avant impulsions électriques. (D) Application des impulsions électriques à l’aide d’électrodes en L.
Les effets secondaires rencontrés sont locaux, avec la présence d’oedème, rougeur, gonflement ou inflammation. Ces effets secondaires sont transitoires et réversibles en quelques jours avec un traitement de soutien adéquat. Une alopécie ou une pigmentation cutanée sont également parfois observées.
Plusieurs séances sont parfois nécessaires afin d’obtenir une réponse clinique complète, dépendant de la tumeur traitée et de sa taille. L’intervalle entre deux séances d’électrochimiothérapie varie classiquement entre une à quatre semaines.
Un suivi est recommandé 15 jours après la séance d’électrochimiothérapie afin d’évaluer la nécessité de réaliser une autre séance. Des suivis réguliers sont par ailleurs préconisés et un nouveau traitement peut être considéré en cas d’augmentation de la taille de la lésion ou si de nouvelles lésions se développent.
Intérêts thérapeutiques en médecine vétérinaire
Les indications principales en médecine vétérinaire sont les tumeurs cutanées ou sous-cutanées, en traitement seul ou en traitement adjuvant ou néo-adjuvant à un autre traitement local (i.e chirurgie ou radiothérapie) afin de limiter le risque de récidive locale.
L’utilisation de l’électrochimiothérapie est également décrite dans d’autres localisations, comme lors de tumeurs nasales ou orales.
(A)
(B)
Images 3A-B : Mélanome amélanotique avant traitement (A) et 3 semaines après électrochimiothérapie (B) chez un chien Labrador de 1 an.
Chez les animaux sans autres options thérapeutiques viables, l’électrochimiothérapie peut également être utilisée à visée palliative, notamment lors de tumeurs ulcérées ou hémorragiques.
Chez le chat, les principales tumeurs traitées concernent les carcinomes épidermoïdes du planum nasal. Dans l’espèce canine, les principales études reposent sur le traitement des tumeurs périanales ou des mastocytomes cutanés.
L’utilisation de l’électrochimiothérapie est également décrite dans d’autres espèces comme l’espèce équine, notamment dans le cadre du traitement des sarcoïdes ou des carcinomes épidermoïdes, ou chez les nouveaux animaux de compagnie.
De plus, plusieurs études cliniques en médecine humaine et en médecine vétérinaire visent à montrer l’efficacité de l’électrochimiothérapie lors de tumeurs profondes. La localisation précise des lésions tumorales et l’utilisation d’électrodes spécifiques restent toutefois nécessaires et limitent pour le moment l’utilisation de l’électrochimiothérapie dans cette indication en médecine vétérinaire.
Références
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