AUTEUR
Séfana AOUAR – ASV – Unité de chirurgie
Introduction
Bien que l’anesthésie soit toujours associée à un risque important, elle est définie comme une branche essentielle dans la médecine vétérinaire. Sa complexité s’étend au-delà de la narcose du patient. Le plan anesthésique doit être réfléchis de manière à trouver l’équilibre entre la sécurité et le bien-être du patient mais aussi des besoins du vétérinaire. Ce plan anesthésique doit être personnalisé en fonction des animaux et de leurs affections afin de répondre parfaitement aux besoins de chacun. Cette newsletter a pour but de mettre en lumière les grands principes d’une anesthésie.
Les principes de l’anesthésie
Du grec anaisthêtos qui signifie « insensible », l’anesthésie correspond à une perte de sensibilité générale ou locorégionale. Son terme officiel est la « narcose ». Elle correspond à un processus réversible de contention chimique permettant la réalisation de procédures médicales avec un minimum de stress, de douleur, d’inconfort et d’effet toxique pour le patient.
Les principes de l’anesthésie sont multiples. Ainsi, elle permet dans un premier temps, d’amener l’animal dans un état d’inconscience. De cet état découle une amnésie dit transitoire. En effet, faire oublier les actes qu’ont vécu les animaux réduit considérablement leur stress. Des études pharmacologiques montrent que certaines molécules sont plus à même de provoquer une amnésies rétrograde. Entre autre, les benzodiazépine entraine un oubli de la mémoire immédiate chez un animal à la suite d’évènements causals.
C’est pourquoi il est nécessaire pour le vétérinaire d’évaluer le degré d’inconscience qu’il souhaite amener chez son patient (ex : animal tranquilliser/calme, animal sédater sans mouvement mais conscient, ou animal en état de narcose profonde). Cela dépend de l’examen clinique et des examens complémentaires qui doivent être réalisés.
Le second volet de l’anesthésie est l’analgésie : il correspond à l’absence quasi-totale de douleur par le biais d’analgésiques. Il est important d’évaluer et d’adapter le degré d’analgésie pour respecter la notion de bien-être animal. Lorsque la douleur est prévisible, l’analgésique doit être administré par le vétérinaire avant le stimulus douloureux. Certaines procédures peu invasives peuvent se montrer malgré tout douloureuses (ex : animal hyperarthrosique positionner dans un scanner peut montrer des signes de douleurs). Il est donc primordial pour le vétérinaire d’en prendre compte dans l’approche clinique de l’animal.
En l’absence de douleur, l’animal présentera une meilleure myorésolution (ou myorelaxation musculaire). Cependant, cette myorésolution peut aussi être le résultat de molécules (ex : valium, médétominide… ).
Enfin, le pilier de l’anesthésie est la sécurité de l’animal. Il faut veiller à ce que la durée de l’anesthésie soit adapter à la durée de la procédure. Plus un animal est longuement anesthésié plus les risques sont élevés, et plus le réveil sera difficile. Réduire au stricte nécessaire la dose d’une anesthésie présentera donc moins de risque per anesthésique et post anesthésique, elle aura un coût moins important pour les propriétaires et sera également moins néfaste pour l’environnement. Pour cela les vétérinaires ont recours à l’anesthésie balancée, elle correspond à la combinaison de différentes molécules anesthésiantes/analgésiantes afin d’atteindre une anesthésie idéale.
Pour terminer, il est nécessaire de penser au confort du patient. L’animal doit être mis dans des positions adaptées pour se ventiler correctement (ex : sternale, décubitus latérale, sur les dos les antérieurs croisés pour les thorax profonds). Il est impératif de l’installer sur des surfaces limitant son mouvement et de préparer en amont un tapis chauffant pour éviter les hypothermies.
Fig 1. Installation chirurgicale adaptée.
Différences entre sédation, prémédication et induction
Bien qu’une « sédation » et une « prémédication » aient le même principe, elles ont un but différent. Une sédation conduit le patient dans un état de calme, sans influence sur le réveil car l’individu est toujours conscient. Le vétérinaire peut reverser l’état sédatif de l’animal grâce à un antagoniste (ex : atipam, narcostop…).
À contrario, une prémédication consiste à tranquilliser (état relaxé et indifférence vis-à-vis de l’environnement) le patient en vue d’une anesthésie générale. Souvent, lors de la prémédication les molécules choisies par le vétérinaire ont un effet anesthésiant, analgésiant et myorelaxant. Cette étape permet de limiter la réactivité du système nerveux autonome, de réduire les besoins anesthésiques lors de l’induction et assure un réveil plus doux pour les animaux.
L’induction, permise par agent anesthésique intraveineux (ex : propofol ou alfaxan) conduit l’animal à une perte de conscience. Elle nécessite une intubation endotrachéale (cf partie 3). Le maintien de l’anesthésie générale se fera par anesthésie gazeuse.
Un animal bien anesthésié présentera aucun tonus musculaire au niveau de la mâchoire, il y aura disparition de reflexe laryngé, du reflexe palpébral et les globes oculaires basculeront ventro-médialement. A noter, chez les races brachycéphales, qui ont souvent d’important globe oculaire, le basculement des yeux peut être moins prononcés voir centraux malgré que l’animal soit suffisamment profond.
Intubation endotrachéale
L’intubation endotrachéale fait partie de la liste des recommandations de l’AAHA (American Animal Hospital Association). C’est un facteur qui va garantir une anesthésie plus sécurisée et plus efficace. Elle permet d’ouvrir les voies respiratoires supérieures afin que l’ animal puissent recevoir de l’oxygène et un anesthésique gazeux. Elle assure également le maintien de l’étanchéité et la liberté des voies respiratoires. L’intubation permet donc d’entretenir une anesthésie, de s’assurer d’une bonne oxygénation et de mettre en œuvre une ventilation assistée en cas de difficultés respiratoires.
Malgré son importance capitale, l’intubation endotrachéale reste un acte invasif et peut conduire à des complications :
- Intubation bronchique sélective : un seul poumon bien oxygéné
- Intubation œsophagienne : hypoxie et une dilatation gastrique
- Traumatisme laryngé ou trachéale : œdème, hématome… l’animal peut donc être un peu dyspnéique après l’extubation. La muqueuse trachéale peut être irritée à la suite de lésions et peut causer des sténoses par cicatrisation. Chez les chats, la trachée est peu extensible et peut être sujet à des ruptures trachéales.
S’assurer que l’animal est correctement intubé peut se vérifier par le monitoring notamment grâce à la capnographie et à la SPO2 (cf partie 4).
Fig 2. Allure d’un capnogramme normal
Monitoring
Le monitorage consiste en une surveillance continue des paramètres physiologiques du patient souvent couplés à un système d’alerte et d’alarme (sonore et/ou visuelle).
- Les fonctions physiologiques
La fonction cardiovasculaire permet de vérifier l’activité de la pompe cardiaque. Son efficacité hémodynamique rassure sur la bonne fonction vasculaire du patient. Cette fonction est évaluée par plusieurs paramètres :
- L’ECG (électrocardiogramme) est un tracé obtenu par l’enregistrement et la transcription des courants électriques parcourant le cœur au cours de chaque contraction cardiaque. Il est mesure à l’aide d’électrodes ou d’une sonde œsophagienne. Ainsi on peut obtenir la fréquence cardiaque en temps réel au cours d’une anesthésie et déceler des anomalies cardiaques.
- La pression artérielle est le rapport entre la pression systolique et la pression diastolique. Une tension anormale peut engendrer des complications cardiovasculaires et rénales.
La fonction respiratoire permet de surveille le rythme et l’amplitude respiratoire dans le but de vérifier la profondeur de l’anesthésie ou d’alerter sur d’éventuelles difficultés respiratoires.
- Courbe respiratoire : Indicateur visuel de la respiration du patient.
- La saturation en oxygène (SPO2) : Elle correspond à la quantité d’oxygène présente dans le sang. Elle représente le pourcentage d’hémoglobine oxygénée par rapport à la quantité totale d’hémoglobine dans le sang. La SpO2 doit être comprise entre 95% et 100%.
- ETCO2 : Concentration de CO2 dans l’air expiré et valeur proche du CO2 alvéolaire.
L’ETCO2 doit être compris entre 35 et 50mmHg.
Lors de l’anesthésie, La température corporelle tend à baisser drastiquement en fonction de la durée de celle-ci et du gabarit du patient. Elle baisse également la consommation de gaz anesthésique, ce qui peut favoriser le risque de surdosage. Il est donc nécessaire de diminuer la quantité d’isoflurane lorsqu’un animal perd en température, cependant il faut rester attentif à sa profondeur d’anesthésie. Une hypothermie cause également des troubles de la coagulation, favorise les infections post opératoire, induit un inconfort au réveil et une augmentation de la consommation en oxygène en cas de frissons. Au cours de la chirurgie, l’hypothermie est à l’origine de bradycardies, voir même être la cause de décès en cas d’ hypothermie sévère. Pour lutter contre la baisse de température, il est important de toujours prévoir un tapis chauffant dès préparation de l’animal à sa chirurgie, de mettre en complément des bouillotes au bloc opératoire et au réveil si besoin en plus d’une couverture et d’un warmtouch.
Fig 3. Surveillance du moniteur
Tableau 1. Valeurs de références pour chaque paramètre physiologique
Les risques anesthésiques
La plupart des drogues anesthésiques ont un effet négatif sur la pression sanguine. Généralement, plus la procédure est longue, plus la diminution de la pression artérielle est importante (hypotension). Les fluides intraveineux aident à prévenir l’hypotension et diminuent grandement le risque de dommages parfois permanents sur les organes vitaux (reins, foie, cœur). Ce risque est plus ou moins important en fonction du type d’intervention réalisé et l’état clinique de l’animal. C’est pourquoi un bilan sanguin pré anesthésique et d’autres examens complémentaires peuvent être demandés par le vétérinaire.
Tableau 2. Risque de mortalité en fonction de la phase d’anesthésie
Extubation et réveil
En anesthésie gazeuse, dès lors où l’animal ne respire plus l’anesthésique celui-ci est en phase de réveil. Pour un maximum de sécurité et de confort, le réveil doit se faire dans des cages de réveils adaptés aux besoins du patient (tapis chauffant/warmtouch, couverture, O2…).
Fig 4. Réveil dans une cage à oxygène.
La qualité et la durée du réveil dépendent de l’intervention réalisée, de sa durée, de l’état de santé de l’animal et du protocole anesthésique administré. Il s’agit d’une période critique. En effet, comme toutes étapes de l’anesthésie, la surveillance accrue des patients est indispensable afin de les accompagner au mieux.
Une fois que le patient reprend conscience, des signes de déglutitions apparaissent, c’est à ce moment que les animaux doivent être extubés. Il faut néanmoins veiller à ce que l’animal n’est rien d’obstructif dans la cavité buccale, qu’il n’y ait pas de contre-indication à lui retirer sa sonde (ex : abcès oropharyngée, coup de chaleur, voiles du palais…). Il faut également être attentif aux fausses déglutitions.
Le rôle de l’ASV
Les missions de l’ASV sont essentielles dans la prise en charge anesthésique d’un animal. Notre rôle est d’aider le vétérinaire dans toutes les étapes de l’anesthésie pour diminuer au maximum le temps anesthésique.
En pré-anesthésie, nous sommes chargé d’adapter l’appareillage anesthésique au poids du patient et à son espèce et de mettre en place une source de chaleur pour réchauffer l’animal. Durant l’anesthésie, nous surveillons attentivement la profondeur de la narcose en vérifiant le reflexe palpébrale , le basculement des yeux et le tonus de la mâchoire. En parallèle, relevons les valeurs des paramètres physiologique inscrit sur le monitoring et nous alerterons le vétérinaire si une/des valeur(s) ne correspond(ent) pas aux valeurs de références. Sous les directives et le contrôle stricte du vétérinaire nous pouvons être amener à intervenir sur l’animal en cas de douleur ou de réveil.