AUTEUR
Laura Chevalier, assistante de chirurgie (DMV)
Dr vétérinaire Mathieu Taroni (DMV, Dipl. ECVS)
SOMMAIRE
- Introduction
- Diagnostique
- Type de traitement
- Traitement médicale
- Traitement chirurgicale
- Rôle de fenestration
- Analgésie postopératoire
- Prise en charge des troubles urinaires
- Réeducations
- Myélomalacie progressive
- Références
- Introduction
La hernie discale extrusive est caractérisée par l’extrusion de matériel discal à l’intérieur du canal intervertébral secondaire à la rupture de l’anneau fibreux du disque intervertébral. Toutes les races sont touchées, néanmoins les chiens de race chondrodystrophiques sont les plus concernées en raison de la modification de l’expression d’un gène impliquant une dégénérescence (métaplasie chondroïde) plus rapide des disques intervertébraux. La compression et la contusion de la moelle épinière des racines nerveuses sont à l’origine des signes cliniques suivants : douleur, dégradation neurologique (parésie, paralysie) et incontinence urinaire ou fécale.
Figure 1. Schéma illustrant les différentes composantes d’un disque intervertébral. Source : Tobias.
2. Diagnostique
Le diagnostic de la hernie discale extrusive aiguë chez le chien est effectué par résonance magnétique (IRM), scanner, myéloscanner (ou myélographie).
Le tableau suivant résume les principaux avantages et inconvénients de chaque technique (Tableau 1).
Tableau 1 : résumé des avantages et inconvénients des différentes modalités d’imagerie pouvant être utilisées dans le diagnostic d’une hernie discal extrusive aiguë.
Parmi l’ensemble des modalités d’imagerie le scanner doit être considéré en première ligne. Il est idéal chez les chiens chondrodystrophiques, les chiens de format moyen à grand et les patients jeunes ou d’âge moyen. Le choix de la technique d’imagerie ne permet pas de déterminer avec certitude quelle technique chirurgicale est la plus adaptée. Cependant, l’IRM peut inviter à réaliser des actes chirurgicaux complémentaires à une chirurgie décompressive (durotomie par exemple) lorsqu’une lésion médullaire est suspectée.
L’IRM semble donc la technique d’imagerie en coupe la plus adaptée pour se renseigner sur le pronostic, les informations fournies par les autres techniques d’imagerie en coupe étant plus limitées.
3. Type de traitement
Quel traitement choisir ?
Le traitement des hernies discales extrusives aiguës peut être médical (conservateur) ou chirurgical. Le traitement médical repose sur l’analgésie et le repos alors que le traitement chirurgical vise à décomprimer la moelle épinière.
Tableau 2. Résultat postopératoire (récupération d’une fonction ambulatoire avec une continence urinaire et fécale) en fonction du degré d’atteinte neurologique.
On remarque que les patients ambulatoires répondent généralement bien au traitement médical.
Le traitement médical est à considérer lorsque le traitement chirurgical n’est pas envisageable.
Le traitement médical, sans être contre-indiqué offre de moins bons résultats que le traitement chirurgical chez :
- Les chiens souffrant de douleurs intenses
- Les chiens présentant des signes cliniques fortement latéralisés
- Les chiens en stade III (récupération incomplète plus fréquente)
- Les chiens en stade IV (plus de récidives, temps de récupération plus long et récupération incomplète plus fréquente)
- Les chiens en stade V (risque de myélomalacie élevé)
Le traitement chirurgical est fortement recommandé chez :
- Les chiens présentant aux examens d’imagerie de multiples disques minéralisés
- Les chiens ayant des antécédents d’extrusion discale aiguë
- Les chiens qui ne s’améliorent pas, se dégradent ou qui restent douloureux, malgré l’instauration d’un traitement médical (après 5 à 7 jours de traitement AINS).
Enfin, la présence de signes de myélomalacie constitue une contre-indication absolue au traitement médical.
4. Traitement médicale
Restriction de l’exercice
Une restriction stricte de l’activité pendant une durée minimale de 4 semaines est recommandée. Il manque en revanche de données dans la littérature concernant le degré de restriction de l’activité nécessaire. De manière générale, il est conseillé d’isoler à minima l’animal dans une pièce avec peu de meubles pour éviter les sauts. Des sorties hygiéniques uniquement réalisées en laisse courte sont possibles. L’accès aux escaliers doit être également interdit. Enfin, une reprise progressive de l’activité peut être effectuée après 4 semaines.
Analgésie
Le traitement repose sur l’administration d’anti-inflammatoires et d’analgésique agissant sur les douleurs neuropathiques comme la prégabaline ou la gabapentine. D’autres molécules peuvent être ajoutées si nécessaires telles que les myorelaxants (diazépam ou methocarbamol) ou bien des opioïdes en cas de douleur sévère.
L’utilisation combinée d’anti-inflammatoire non stéroïdiens et stéroïdiens est totalement contrindiquée.
Il est recommandé d’utiliser en priorité les anti-inflammatoires non stéroïdiens pour une durée minimale de 5 à 7 jours dans le traitement des hernies discales extrusives aiguës. Ce traitement offre en effet une meilleure qualité de vie au patient et réduit le risque de récidive en comparaison avec les corticoïdes pour les chiens ambulatoires. Les anti-inflammatoires stéroïdiens semblent plus intéressants pour les hernies discales plus chroniques. Ils doivent alors être utilisés à dose anti-inflammatoire et prescrits sur de courtes durées.
La prévention et le traitement des lésions cutanées et ulcères de décubitus, et la prise en charge de l’incontinence urinaire est essentielle.
Traitements complémentaires
Certaines thérapies complémentaires peuvent être réalisées en plus du traitement médical. L’acupuncture (en particulier l’électro-acupuncture) peut être utilisée, mais elle n’est pas considérée comme une alternative possible au traitement chirurgical. Il convient de plus de limiter les lésions cutanées sur la potentielle zone d’intervention.
La physiothérapie peut être inclue dans le traitement médical (mouvements passifs et massages).
5. Traitement chirurgical
Le traitement chirurgical vise à décomprimer la moelle épinière. L’hémilaminectomie et la mini-hémilaminectomie/pédiculectomie font partie des techniques à privilégier. La corpectomie latérale présente un intérêt en particulier en cas d’hernie discale extrusive plus chronique ou très ventrale. La réalisation d’une laminectomie dorsale est également décrite. Des actes chirurgicaux tels que la fenestration ou la durotomie peuvent être également réalisés.
Quand intervenir chirurgicalement ?
Le moment optimal pour intervenir chirurgicalement est sujet à controverse. Aucune valeur seuil à partir de laquelle toute intervention chirurgicale ne présente plus d’intérêt n’a pu être déterminée. En effet, la récupération des fonctions locomotrices chez des patients en stade V opérés plus de 7 jours après le diagnostic a été documentée. Néanmoins, les auteurs recommandent une intervention chirurgicale rapide pour limiter les pertes de chance en particulier chez les patients présentant des déficits neurologiques sévères.
6. Rôle de la fenestration
La fenestration d’un disque intervertébral consiste à inciser l’anneau fibreux puis à le cureter. L’objectif est de retirer une partie du contenu du disque intervertébral. Une fenestration peut être effectuée sur des disques déjà rompus ou de manière prophylactique si l’anneau fibreux est encore conservé.
Lorsqu’elle est effectuée sur des disques endommagés, la fenestration limite le risque de récidive d’extrusion discale en période postopératoire immédiate. En effet, des cas de ré-extrusion de matériel discale ont été documentée jusqu’à 1 mois postopératoire.
7. Analgésie postopératoire
La prise en charge de la douleur chez les patients ayant subi une intervention chirurgicale est essentielle, celle-ci est liée au geste chirurgical ainsi qu’à l’extrusion discale elle-même (douleur neuropathique).
Une douleur para-spinale proche du site opératoire peut persister après l’intervention. Elle disparaît chez la majorité des chiens dans les 6 premiers mois postopératoires mais une douleur neuropathique chronique peut persister.
Le traitement postopératoire est très similaire au traitement médical conventionnel. Il est basé sur l’administration d’opioïdes par voie intraveineuse ou sous-cutanée pendant au moins 24 à 48h combinée à celle d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens pendant 7 jours. L’ajout d’un patch de fentanyl pendant 3 à 5 jours permet de renforcer le traitement. Les douleurs neuropathiques peuvent être gérées par l’administration complémentaire de prégabaline (4 mg/kg) toutes les 8 heures ou de la gabapentine 10 mg/kg toutes les 8 heures.
Effets secondaires du traitement conservateur ou du traitement médical après l’intervention ?
Les principaux effets secondaires sont digestifs. L’administration d’anti-inflammatoires peut provoquer des signes digestifs (diarrhées, régurgitation, vomissements), en lien avec une inflammation des voies digestives (gastrite, ulcères digestifs, pancréatite). L’utilisation de protocoles de dexaméthasone à forte dose est contre-indiquée, car elle peut entraîner des lésions digestives fatales.
L’arrêt des traitements anti-inflammatoires est recommandé en cas d’apparition de troubles digestifs. L’utilisation de protecteurs gastriques n’est pas efficace.
Par ailleurs, l’utilisation d’opioïdes augmente le risque de reflux gastro-œsophagien, pouvant être source de bronchopneumonie par fausse déglutition. La gabapentine et la prégabaline peuvent également avoir des effets sédatifs.
On note aussi une augmentation du risque d’infection urinaire en cas d’utilisation de dexaméthasone.
8. Prise en charge des troubles urinaires
Les mictions volontaires sont impossibles chez les patients en stade V. Ce phénomène provoque une rétention urinaire et augmente par conséquent le risque d’infection urinaire. Les chiens présentant une atteinte neurologique plus sévère à l’admission ont un risque accru de développer des troubles de la continence urinaire à long terme, même s’ils récupèrent une fonction ambulatoire.
Méthode de vidange vésicale
La vessie peut être vidangée par taxis externe, par sondage urétral itératif ou en laissant une sonde urinaire à demeure. Le taxis externe ne permet cependant que de vidanger en moyenne 50 % des urines. Un cathétérisme urétral répété peut être considéré comme une solution alternative, mais ces effets sur la muqueuse urétrale restent méconnus. La pose d’une sonde à demeure est efficace. Elle doit être utilisée pendant une courte période, car elle augmente le risque d’infection urinaire et retarde la récupération de la miction volontaire.
Enfin, un contrôle régulier par palpation ou en s’aidant de l’échographie pour s’assurer de la bonne vidange vésicale est recommandé quand les mictions volontaires reprennent.
Utilisation de médicaments pour relâcher le sphincter urétral interne
Il manque de données dans la littérature supportant l’utilisation des agonistes des alpha adrénergiques (alfuzosine, tamsulosine, prazosine, phénobenzamine) visant à relâcher le sphincter urétral interne.
Le traitement médical est pertinent chez les patients sur lesquels le taxis externe est difficile. Il doit se poursuivre jusqu’à reprise des mictions volontaires. L’utilisation à long terme de ces molécules sur le patient paralysés de manière chronique n’est en revanche pas conseillée. L’ajout de myorelaxant d’action centrale tels que le diazépam est également possible.
Antibiothérapie
La mise en place d’une antibiothérapie préventive pour limiter le risque d’infection urinaire est déconseillée. Seules les infections cliniques avec une bactériurie significative doivent être traitées.
9. Réeducation
Les protocoles de rééducation sont généralement bien tolérés. La mise en place de protocoles de réhabilitation intensive ne semble pas nécessaire chez tous les patients. Elle n’offre pas une récupération plus rapide ou plus complète que la réalisation d’exercices de base tel que la mobilisation passive ou la marche assistée. Cependant, une corrélation entre le temps passé en réhabilitation et le résultat postopératoire et l’amélioration du statut neurologique a été observée.
Les protocoles peuvent être débutés dès 24 heures après l’intervention et jusqu’à 15 jours postopératoires. Ils peuvent être continués pendant 2-6 semaines. Une augmentation progressive de l’intensité d’exercice en fonction de l’évolution de l’animal est conseillée.
Protocoles de rééducation
– Un protocole de base de réeducation doit inclure :
– une cryothérapie (alternance chaud et froid)
– des exercice d’amélioration active et passive de l’amplitude de mouvements
– des massages
– une assistance à la station debout ou à la marche
Restriction de l’activité en période postopératoire
L’objectif est de réduire le risque de ré-extrusion et de promouvoir la cicatrisation du site chirurgical ainsi que de l’anneau fibreux. Les recommandations sont identiques à celle du traitement médical.
10. Myélomalacie progressive
La myélomalacie progressive correspond au processus de nécrose progressive, d’ischémie et hémorragie au sein de la moelle épinière. Elle s’étend crânialement et caudalement au site de lésion initiale.
Elle se traduit cliniquement par la perte de réflexes sur les membres pelviens, la perte des réflexes anaux et périanaux, la perte du tonus des muscles pelviens, du tronc et des muscles abdominaux, la perte progressive du réflexe paniculaire (déplacement crânial), une paralysie des membres thoraciques et enfin une insuffisance respiratoire conduisant au décès de l’animal. Sa prévalence est estimée à 11 -33% chez les individus en stade V. Le diagnostic est réalisé sur la base des signes cliniques, des examens d’imagerie en coupe et par analyse de biomarqueurs sériques.
Facteurs de risques
Les chiens de stade V représentent les individus les plus susceptibles de souffrir de myélomalacie progressive. Les chiens touchés par une lésion affectant l’intumescence lombaire semblent aussi plus atteints. Une incidence plus importante est rapportée chez les bouledogues français toutefois celle-ci pourrait être influencée par d’autres facteurs.
Prévention et traitement de la myélomalacie
Aucun traitement médical n’est efficace. Les corticoïdes ne présentent pas d’effet neuroprotecteur.
Le bénéfice d’une décompression rapide reste à investiguer (indépendamment de la récupération de la fonction locomotrice). La réalisation d’une durotomie est indiqué chez les individus présentant une atteinte neurologiques sévère et chez les chiens à risque de développer une myélomalacie. Elle permet d’obtenir une récupération fonctionnelle plus complète chez les patients fortement dégradés que la chirurgie décompressive seule.
Références
Olby NJ, Moore SA, Brisson B, Fenn J, Flegel T, Kortz G, et al. ACVIM consensus statement on diagnosis and management of acute canine thoracolumbar intervertebral disc extrusion. Veterinary Internal Medicne 2022;36:1570–96. https://doi.org/10.1111/jvim.16480.
Johnston SA, Tobias KM. Veterinary surgery: small animal. Second edition. St. Louis, Missouri: Elsevier; 2018.