vétérinaire résident en medecine interne

AUTEUR DE L’ARTICLE
Dr Florian BEDEL, Résident en Médecine Interne (ECVIM)
Dr Patrick LECOINDRE, Dipl. ECVIM, Clinicien du service de Médecine Interne

Présentation du cas

« L’entérite régionale granulomateuse (ERG)» ou « lymphangite lipogranulomateuse focale » est une forme rare de maladie inflammatoire chronique canine (MICI) qui touche plus fréquemment l’iléon distal et la jonction iléo-colique. Les lésions se traduisent par un épaississement sténosant pouvant s’apparenter à une masse. Les diagnostics différentiels incluent généralement les causes néoplasiques (lymphome, adénocarcinome) et non néoplasiques des masses intestinales telles que la maladie granulomateuse infectieuse (par exemple, associée à E. coli, les espèces de Mycobacterium, Pythium, Histoplasma, Heterobilharzia americana et Prototheca), les abcès, les kystes, les hématomes, les ulcères, et les intussusceptions.
Dans les études récentes, les chiens mâles, adultes (âge médian 6,8 ans), de petite race (Bouledogue français, Yorkshires) semblent prédisposés. L’étiologie de cette infection est inconnue et le pronostic semble réservé bien que l’exérèse chirurgicale de la zone atteinte semble améliorer la survie de ces animaux.

Description du cas :

Un chien Yorkshire mâle de 7 ans est présenté pour amaigrissement et troubles digestifs chroniques évoluant depuis plus de 6 mois. Il manifeste des diarrhées de type mixtes, de consistances variables, allant d’un aspect glaireux à liquidien. Des vomissements de type bileux sont présents jusqu’à trois fois par jour. De plus il présente une dysorexie croissante depuis l’initiation des symptômes. Le chien est correctement déparasité sur les conseils du vétérinaire référant. Un traitement à base de bétaméthasone (Celestene®) a été mis en place sans amélioration notable depuis trois semaines.

A son arrivée, le chien présente une palpation abdominale inconfortable, avec un effet de masse dans l’abdomen moyen. Le reste de l’examen clinique n’est que peu remarquable. Le bilan hématologique, biochimique et électrolytique demeure dans les normes.

Une échographie abdominale est réalisée et révèle la présence d’un sévère épaississement circonférentiel de la paroi iléale distale allant jusqu’à 11,2 mm d’épaisseur (cf Images 1 et 2). L’architecture en couche est sévèrement remaniée, avec une musculeuse bien plus épaisse que la muqueuse. La jonction iléo-colique est également atteinte, avec un épaississement important de la paroi de la partie proximale du colon ascendant. Une adénopathie colique ainsi qu’une stéatite focale sont mises en évidence. Une fine quantité d’épanchement abdominal est visualisée.

Image 1 : Iléon en coupe transversale observé à l’aide d’une sonde linéaire.  Paroi mesurant 11,2 mm d’épaisseur.

Image 2 : Iléon en coupe transversale observé à l’aide d’une sonde linéaire. Paroi mesurant jusqu’à 10,7 mm d’épaisseur.

Un examen tomodensitométrique du thorax et de l’abdomen est réalisé. Le scanner confirme un sévère épaississement pariétal de l’iléon, s’étendant sur 9 cm de long, jusqu’à atteindre la jonction iléo-colique. Dans la portion ventrale de la paroi iléale, des bulles aériques témoignent d’une rupture locale de la paroi intestinale. (Cf Images 3 et 4.)
Un épanchement abdominal léger est identifié en regard de la perforation.

Image 4 : Reformatage dans le plan dorsal après injection de PCI par voie veineuse Épaississement sévère et diffus de la paroi de l’iléon

Image 3 : Reformatage dans le plan dorsal après injection de PCI par voie veineuse. Epaississement diffus et sévère de la paroi de l’iléon dans lequel on retrouve des cavités aériques témoignant d’une rupture de la paroi (flèches).

Par ailleurs, aucun nodule pulmonaire n’est mis en évidence.

Une coloscopie est réalisée. Le colon présente des signes légers d’inflammation, la muqueuse est discrètement irrégulière et érythémateuse. La valvule iléo-colique est œdématiée. Des biopsies iléales et coliques sont réalisées.Quelques jours plus tard, l’état du chien se dégradant, une coeliotomie xypho-pubienne est réalisée. L’exploration permet de confirmer un remaniement important de l’iléon et de la jonction iléo-colique. Le bord mésentérique est orné de nombreux nodules d’aspect « blanchâtre » mesurant 3 à 5 mm de diamètre. Une entérectomie de l’anse intestinale lésée est réalisée à l’aide de pince à autosutures. Une fermeture classique de l’abdomen est pratiquée après avoir pris soin de rincer l’abdomen et d’épiploïser le site d’anastomose.

Aucune complication péri-opératoire n’est à signaler. L’animal est hospitalisé 72 heures sous citrate de maropitant, oméprazole, sucralfate, ampicilline-sulbactam et buprénorphine. Conjointement, une réalimentation progressive est instaurée.

La pièce d’exérèse chirurgicale est soumise à une analyse histo-pathologique. La musculeuse et la séreuse sont sévèrement épaissies par des lésions granulomateuses centrées sur les vaisseaux lymphatiques dilatés. Ces lésions sont composées d’un grand nombre de macrophages vacuolisés mélangés à un nombre moindre de neutrophiles, lymphocytes et plasmocytes. Cette analyse permet la mise en évidence d’une lymphangite et d’une péritonite lipogranulomateuse nécrosante chronique sévère. De plus, aucune atypie cellulaire en faveur d’un processus tumoral n’est mise en évidence.

Etiopathogénie :

Actuellement, la cause de cette affection demeure indéterminée. Certains auteurs l’assimilent à la maladie de Crohn chez l’homme de par la localisation préférentielle des lésions à l’iléon terminal, à la valvule iléo-colique et au côlon ainsi que par la nature granulomateuse de ces lésions. Cependant, pour d’autres auteurs, l’absence de fissures transmurales, l’atteinte préférentielle de la musculeuse au lieu de la muqueuse dans la maladie de Crohn et l’absence de granulome giganto-cellulaire (caractéristiques de la maladie de Crohn) orientent vers une affection différente.

Enfin, cette affection a également été comparée à la maladie de Waldmann chez l’homme, qui se caractérise par une lymphangiectasie intestinale primitive. En effet, bien que l’atteinte soit généralement diffuse chez l’homme, un certain nombre de cas de lymphangite lipogranulomateuse focale ont été décrits.
Le rôle d’E. coli dans la génèse de la colite histiocytaire ulcérative chez les chiens de race Boxer ou Bouledogues Français et la capacité d’autres agents infectieux tels que les espèces de Mycobacterium, de champignons (Pythium, Histoplasma) pour induire une inflammation intestinale granulomateuse, a incité certains auteurs à effectuer une recherche approfondie d’un agent pathogène par analyse FISH (Fluorescent In Situ Hybridization) et colorations histochimiques (PAS, Ziehl – Neelsen, coloration argentique). Si des bactéries étaient apparentes dans les zones d’inflammation et dans les structures vasculaires, il semble probable que leur présence était une conséquence de la translocation induite par l’inflammation plutôt que la cause initiatrice. De même, les colorations histochimiques n’ont jamais mis en évidence d’agents pathogènes du type Mycobacterium avium ou d’autres agents tels que les champignons et les protothèques. L’étiopathogénie de cette maladie est donc encore indéterminée mais reflète une interaction complexe entre des facteurs environnementaux et familiaux de l’hôte, y compris des facteurs génétiques.

Diagnostic :

Clinique

Les signes cliniques prédominants sont la diarrhée et les vomissements. De l’hématochézie, du ténesme et une augmentation de la fréquence de défécation sont souvent rapportés. La palpation abdominale révèle fréquemment une masse tubulaire rigide dans l’abdomen. Malgré la chronicité des signes cliniques, les patients présentaient relativement peu d’anomalies clinico-pathologiques. Cette discordance est probablement une conséquence de la nature focale de la maladie et de son manque relatif d’implication muqueuse. Toutefois les lésions évoluent souvent vers une sténose de l’intestin grêle responsable de l’apparition d’un syndrome occlusif.

Biologique

Une hypoalbuminémie modérée est observée dans 50% des cas. Toutefois certains chiens peuvent présenter une cryptite diffuse de l’intestin grêle associée à cette ERG avec secondairement à la cryptite une hypoalbuminémie plus sévère inférieure à 20g/L. La concentration inférieure à la normale de cobalamine sérique est rapportée dans 75% des cas et compatible avec une malabsorption iléale ou une consommation de la vitamine B12 par des bactéries dans l’intestin dilaté à proximité d’une sténose ou d’une obstruction. Un dosage de la cobalamine est donc recommandé afin de supplémenter par voie sous cutanée de façon hebdomadaire pendant 6 semaines les patients présentant une carence.

Echographiquee

Les signes échographiques associent un épaississement pariétal parfois très sévère (>1cm) associé à une dédifférentiation des couches. La couche musculeuse semble plus souvent épaissie. Fréquemment des lésions nodulaires déformant le bord mésentérique de l’intestin sont observées au niveau de la séreuse voir des couches profondes de la musculeuse. Les lésions sont le plus souvent localisées à l’iléon distal et à la jonction iléo-colique mais peuvent également être observées dans le jéjunum. Ces anomalies évoquent fréquemment une infiltration tumorale.

L’échogénicité de la graisse mésentérique est fréquemment observée. Cet examen peut montrer une dilatation intestinale sévère en amont de la zone malade compatible avec une sténose de la lumière intestinale. L’hypertrophie des ganglions lymphatiques régionaux est fréquente.

 Endoscopique

La coloscopie est indiquée en raison de la localisation de l’atteinte, mais est toutefois limitée en raison de l’impossibilité fréquente de franchir la papille iléale trop inflammatoire et sténosée. Le diagnostic de certitude est histologique à partir de biopsies transmurales réalisées lors de l’exploration chirurgicale. La cytoponction de la paroi intestinale ne semble pas intéressante dans ce type de lésion. De même, lorsque la papille iléale a pu être franchie, les biopsies endoscopiques de l’iléon peuvent se révéler trop superficielles et ne permettent pas la mise en évidence des granulomes trop profonds.

Histologique

L’examen des pièces opératoires a montré macroscopiquement un épaississement de toute la paroi iléale. Sur les coupes examinées, les lésions les plus caractéristiques sont développées au niveau de la séreuse comprenant des granulomes de taille variable centrés sur une substance acellulaire, claire, d’aspect chyleux évoquant une lyse des lipides. Une couronne de cellules épithélioïdes et quelques cellules géantes cernent ces dépôts. Quelques granulomes de petite taille colonisent la couche musculeuse, parfois la sous-muqueuse mais épargnent la muqueuse. Celle-ci comporte fréquemment une dilatation des lymphatiques villositaires avec déformation mais sans atrophie des villosités. Certaines parois des lymphatiques ont des contours sinueux et des épaisseurs irrégulières. Certains chiens peuvent présenter une cryptite avec nécrose et inflammation particulièrement dans le duodénum mais ces lésions ne semblent pas fréquentes dans le cadre d’une ERG et sont probablement surajoutées à la maladie.

Traitement :

Comme recommandé par plusieurs auteurs, l’exérèse chirurgicale de la zone atteinte semble améliorer le pronostic de cette affection. Elle est systématiquement proposée quand une sténose da la lumière intestinale sur le site de l’affection est mise en évidence. Cette approche a permis une rémission complète pour 4 chiens sur 10 dans l’étude de Lecoindre (2016). Un traitement à long terme avec des doses anti-inflammatoires de prednisolone, de métronidazole pour contrôler la diarrhée est fréquemment mis en place. L’utilisation de la cyclosporine et de l’enrofloxacine sont également proposés mais avec des résultats inconstants.

Conclusion :

Les animaux atteints d’une entérite granulomateuse focale présentent des troubles digestifs aspécifiques, et un éventuel amaigrissement relatif la durée d’évolution et à l’étendue des lésions. La suspicion repose principalement sur l’échographie abdominale, qui permet de mettre en évidence un épaississement focal de la paroi intestinale, en particulier de la région iléo-colique. Les lésions sont caractérisées d’un point de vue histologique par la présence de lipogranulomes, et par une dilatation des vaisseaux lympathiques au sein de la musculeuse et de la séreuse. En raison de la profondeur des lésions pariétales objectivées par l’analyse histologique, le diagnostic définitif repose sur la réalisation de biopsies étagées par abord chirurgical. Le pronostic après entérectomie combinée à une thérapie anti-inflammatoire est relativement bon, surtout si l’atteinte est focale.