AUTEURS DE L’ARTICLE
Docteur vétérinaire Maud GIROD (Dip. ECVIM-CA) – Unité de médecine interne & Assistante Marina DELAGE – Unité de médecine interne
Démarche diagnostique en cas de protéinurie chez le chien
La protéinurie est un terme utilisé pour désigner la présence d’une quantité anormalement élevée de protéines dans les urines. La mise en évidence d’une protéinurie significative et persistante implique la réalisation d’examens complémentaires afin de rechercher sa cause et de mettre en place un traitement adapté.
Lorsqu’une protéinurie est identifiée, il s’agit tout d’abord de vérifier son importance, sa persistance dans le temps et de préciser l’origine de la perte de protéines (pré-rénale, rénale (glomérulaire vs tubulaire) ou post-rénale).
Si la protéinurie est d’origine glomérulaire, il convient d’investiguer une maladie sous-jacente (infectieuse, inflammatoire, à médiation immunitaire, endocrinienne ou néoplasique) et de détecter d’éventuelles conséquences (hypertension, azotémie, hypoalbuminémie, hypercoagulabilité).
Présentation de cas
Anamnèse
L’investigation d’une protéinurie significative et persistante (RPCU >2) débute par une anamnèse complète comprenant le signalement, le mode de vie et l’environnement de l’animal.
Il est important de tenir compte des prédispositions raciales. En effet, de nombreuses races sont prédisposées à des glomérulopathies familiales, à de l’amyloidose rénale ou encore à des glomérulonéphrites à médiation immunitaire
Tableau 1 : Prédispositions raciales selon les différentes affections glomérulaires :
Glomérulopathie familiale | Samoyède Cocker anglais Springer spaniel Bull Terrier Dalmatien Doberman pinscher Beagle Welsh Corgi |
---|---|
Amyloïdose | Sharpei English foxhound Beagle |
Glomérulonéphrite à médiation immunitaire | Bouvier Bernois Epagneul Breton |
Une attention particulière doit être portée aux maladies infectieuses auxquelles l’animal a pu être exposé de par son lieu de vie ou aux cours de voyages. C’est pourquoi il est nécessaire de questionner le propriétaire concernant d’éventuels voyages à l’étranger, dans le sud de l’Europe ou sur le pourtour méditerranéen. En effet, les maladies vectorielles telles que la babésiose, la borréliose, la dirofilariose, l’ehrlichiose ou la leishmaniose peuvent être associées à une glomérulonéphrite. D’autres infections systémiques bactériennes (bartonellose, foyer infectieux tel qu’un pyomètre ou toute autre infection chronique) peuvent également être à l’origine d’une glomérulonéphrite.
La prise de commémoratifs doit également concerner l’alimentation et les traitements reçus au cours de la vie de l’animal. En effet, certaines expositions médicamenteuses ou alimentaires peuvent causer de l’hypertension ou une maladie glomérulaire (exemple : aliments crus, phénylpropanolamine, stéroïdes, sulfamides, inhibiteurs de la tyrosine kinase).
Examen clinique :
Un examen clinique exhaustif est requis. Une attention particulière est portée sur l’évaluation de l’état corporel, l’état d’hydratation et la température rectale. En effet, une protéinurie d’origine pré-rénale peut être observée en cas de fièvre. Des œdèmes périphériques ou une distension abdominale secondaire à de l’ascite peuvent être noté lors de syndrome néphrotique. La palpation abdominale peut révéler des reins de taille et/ou de forme anormale selon la nature et la chronicité de l’affection. Une mesure de la pression artérielle associée à un examen ophtalmologique afin d’évaluer la rétine doivent également être effectués.
Examens complémentaires
Analyses sanguines
Un bilan sanguin complet est le point de départ des investigations avec la réalisation d’une hémotologie, d’un bilan biochimique comprenant à minima la glycémie, la valeurs de la créatinine, de l’urée, de l’albumine, des globulines, de la bilirubine, du cholestérol et l’activité enzymatique des ALAT et des PAL. L’examen du frottis sanguin est nécessaire en cas de modifications hématologiques.
Lors de protéinurie d’origine glomérulaire, une hypoalbuminémie associée à une hypercholestérolémie est observée. La présence d’une azotémie est un facteur pronostic négatif. La recherche de troubles électrolytiques est également indispensable (mesure du potassium, du sodium, du chlore, du calcium et du phosphore) afin de corriger d’éventuels déséquilibres.
Analyse d’urine et examen cyto-bactériologique urinaire
Une bandelette urinaire et l’examen du culot urinaire doivent-être effectués concomitamment. En cas de protéinurie à la bandelette urinaire (protéinurie supérieure ou égale à 2+ ou supérieure ou égale à 1+ pour les urines dont la densité est inférieure à 1.012), il convient de la quantifier en réalisant un ratio protéine/créatinine urinaires (RPCU). L’examen du culot urinaire permet d’exclure une origine pré-rénale (hémoglobine, myoglobine) ou post-rénale à la protéinurie (infection urinaire, néoplasie du tractus urinaire). Une protéinurie d’origine rénale peut être fonctionnelle et transitoire (ex : lors de processus inflammatoire) ou persistante et pathologique.
À la suite de ces premières investigations, il est possible de préciser le stade clinique du patient.
En effet, les chiens présentant une protéinurie sont classés selon 3 catégories :
- Stade 1 : chiens présentant une protéinurie persistante d’origine rénale sans azotémie et sans hypoalbuminémie.
- Stade 2 : chiens présentant une protéinurie persistante d’origine rénale associée à une hypoalbuminémie, sans azotémie.
- Stade 3 : chiens présentant une protéinurie persistante associée à une azotémie d’origine rénale.
Chacun de ces stades et leurs sous stades sont détaillés dans le tableau 2.
Tableau 2 : Détails des différents stades et sous stades en cas de glomérulopathies.
Stade I : Protéinurie d’origine rénale sans hypoalbuminémie ou azotémie | Stade I-A : Persistance d’une protéinurie rénale subclinique sans aucun signe ou séquelle discernable.
Stade 1-B : Persistance d’une protéinurie rénale avec hypertension comme seul signe ou séquelle discernable lié à la fonction rénale, avec ou sans signe d’atteinte des organes cibles. |
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Stade II : Protéinurie d’origine rénale avec hypoalbuminémie, sans azotémie | Stade II-A : protéinurie rénale persistante associée à une hypoalbuminémie, avec ou sans complications ou séquelles associées (œdème et événements thromboemboliques) sans hypertension ni azotémie.
Stade II-B – Protéinurie rénale persistante avec hypoalbuminémie, avec ou sans complications/séquelles associées (œdème et événements thromboemboliques), associée à une hypertension (avec ou sans signes d’atteinte des organes cibles), sans azotémie. |
Stade III : Protéinurie d’origine rénale avec azotémie | Stade III-A – Protéinurie rénale avec azotémie rénale, sans hypertension ni hypoalbuminémie.
Niveau III-B – Protéinurie rénale avec azotémie rénale et hypertension (avec ou sans signes d’atteinte des organes cibles), sans hypoalbuminémie. Niveau III-C – Protéinurie rénale avec azotémie rénale et hypoalbuminémie (avec ou sans l’une des complications/séquelles associées) et associée le plus souvent à une hypertension (avec ou sans signe d’atteinte de l’organe cible). |
Recherche de maladies infectieuses
Si l’animal vit dans une région endémique ou si les antécédents de voyage le justifient, une recherche de maladies vectorielles associées à des glomérulonéphrites est à considérer (Babesiose, Maladie de lyme, Dirofilariose, Ehrlichiose, Leishmaniose).
Cette recherche passe par la réalisation d’un frottis sanguin, de PCR sur sang et/ou de sérologie.
La leptospirose est principalement associée à une tubulopathie plutôt qu’à une atteinte glomérulaire, cependant l’hypoalbuminémie présente dans certains cas suggère qu’une atteinte glomérulaire est possible et il est important d’exclure cette maladie.
Lors de RPCU très élevé (RPCU>3,5), il est recommandé de poursuivre de manière exhaustive les investigations. La démarche diagnostique en cas de protéinurie ne consiste pas à « tout tester », mais à mener une exploration minutieuse adaptée au patient et à son contexte clinique afin d’écarter des maladies sous-jacentes pouvant être à l’origine d’une glomérulopathie.
Examens d’imagerie médicale
Cette étape permet de rechercher un foyer infectieux , inflammatoire ou tumoral.
Des clichés radiographiques du thorax (face et profil) sont nécessaires, même en l’absence d’une anomalie de la courbe respiratoire, afin de rechercher une adénomégalie médiastinale, une ou des lésions pulmonaires (abcès/granulome, néoplasie primaire, métastases), un épanchement pleural.
Une échographie de l’abdomen est intéressante afin de rechercher un foyer infectieux (pyomètre, cholangiohépatite, pyélonéphrite), inflammatoire (pancréatite) ou tumoral. Une attention particulière doit être portée à l’architecture rénale et à la taille des surrénales (recherche d’un hypercorticisme).
Malgré une recherche diagnostique exhaustive, il est courant de n’identifier aucune maladie sous-jacente. Il peut être intéressant de répéter à distance certains examens d’imagerie. En effet, certaines affections (néoplasiques notamment) sont plus faciles à diagnostiquer dans des stades plus tardifs de leur évolution.
Dépistage de pathologies à médiation immunitaire
L’investigation de maladies à médiation immunitaire sous-jacentes à la protéinurie est envisagée lorsque l’animal présente des signes cliniques spécifiques tels qu’une fièvre d’origine indéterminée, une boiterie et/ou une distension articulaire, lors d’’anémie et/ou de thrombocytopénie suggérant un processus de destruction à médiation immunitaire ou lors de certaines lésions dermatologiques.
Il est important de garder en tête que les marqueurs de maladies à médiation immunitaire sont peu spécifiques (test de Coombs, anticorps anti-nucléaires (ANA), facteurs rhumatoïdes) et un résultat positif doit être interprété avec une grande prudence. Aucune preuve scientifique publiée à ce jour n’indique que la détection d’auto-anticorps permette de différencier de manière fiable les animaux atteints d’une glomérulonéphrite à complexe immuns des autres types de glomérulopathies.
Electrophorèse des protéines urinaires
L’électrophorèse des protéines urinaires est utilisée pour distinguer une protéinurie glomérulaire d’une protéinurie tubulaire, une fois que les causes pré-rénales et post-rénales ont été écartées. En effet, l’électrophorèse sur gel permet de séparer les protéines présentes dans les urines en fonction de leur taille. La mise en évidence de protéines de grande taille (> 69 000 Da) est associée à une maladie glomérulaire tandis que la mise en évidence de protéine de petite taille (<69 000 Da) est associée à une maladie tubulaire. En France, ce test est réalisable au laboratoire VetAgro Sup.
Biospies rénales
Lorsqu’une protéinurie d’origine rénale est secondaire à une maladie glomérulaire, le diagnostic différentiel comprend une glomérulonéphrite, une glomérulosclérose, une amyloïdose rénale, un syndrome néphrotique à lésions glomérulaires minimes ou une glomérulopathie familiale. Le diagnostic de certitude repose sur la réalisation de biopsies rénales. Environ 50% des chiens atteints d’une pathologie glomérulaires souffrent d’une glomérulonéphrite à médiation immunitaire et nécessitent un traitement immunomodulateur. La glomérulosclérose est la pathologie la plus fréquemment rencontrées chez les chiens ne souffrant pas de glomérulonéphrites à médiation immunitaire.
Avant de réaliser des biopsies rénales, toute hypertension systémique artérielle doit être stabilisée. Une azotémie de stade IRIS 4 contre-indique la réalisation de biopsies rénales. Il est également nécessaire d’écarter une anomalie de coagulation afin de limiter le risque d’hémorragie (comptage plaquettaire normal et temps de coagulation dans les valeurs de référence). Un arrêt des antithrombotiques est nécessaire 7 jours au minimum avant la réalisation des biopsies.
L’analyse des biopsies comprend une observation au microscope électronique à transmission (MET), des colorations immunologiques nécessitant l’usage d’un microscope à immunofluorescence (MI), ainsi que des observations au microscope optique (MO). Ces différentes techniques permettent en particulier la mise en évidence et le typage de dépôts glomérulaires d’immunoglobulines et de complexes immuns.
Il est indispensable que les biopsies rénales soient représentatives, qu’elles soient placées dans des milieux appropriés (formol 10%, milieu de Michel pour l’immunofluorescence et solution de glutaraldéhyde 3% pour la microscopie électronique). Les biopsies doivent être envoyées à un laboratoire de pathologie vétérinaire qui effectue et interprète régulièrement des échantillons de rein canin.
En Europe, ces analyses doivent être envoyées dans l’idéal à l’European Veterinary Renal Pathology Service (MyLav La Vallonea)
Cependant, compte tenu du caractère invasif de la procédure et du coût financier de l’analyse, il est courant que ce type d’examen soit décliné par le propriétaire et qu’un traitement probabiliste soit instauré en fonction du contexte clinique.
Bibliographie :
- Brown, S., Elliott, J., Francey, T., Polzin, D. and Vaden, S. (2013), Consensus Recommendations for Standard Therapy of Glomerular Disease in Dogs. J Vet Intern Med, 27: S27-S43
- Harley L, Langston C. Proteinuria in dogs and cats. Can Vet J. 2012 Jun;53(6):631-8.
- Littman, M.P., Daminet, S., Grauer, G.F., Lees, G.E. and van Dongen, A.M. (2013), Consensus Recommendations for the Diagnostic Investigation of Dogs with Suspected Glomerular Disease. J Vet Intern Med, 27: S19-S26
- Vaden S. Chapter 325 : Glomerular disease. In : Ettinger, Textbook of Veterinary Internal Medicine 8th Edition, , 2016: 4735-4762