AUTEUR DE L’ARTICLE
Dr. Vet Graham ZOLLER – Dip.ECVZ
Présentation du cas
Un lapin âgé d’environ 2 ans, de sexe mâle stérilisé, est présenté pour baisse d’appétit et abattement évoluant depuis 24 heures. Le transit est incertain. Habituellement, le lapin vit en compagnie d’une lapine stérilisée. Il reçoit une alimentation constituée de foin à volonté (fléoles des prés), de la verdure quotidiennement, sans granulés et vit en liberté totale. Ses antécédents médicaux se limitent à une morsure de chien à la tête 6 mois avant la présentation. Il est correctement déparasité contre les parasites internes (cure de fenbendazole un mois auparavant) et externes (application de sélamectine deux mois au préalable), et correctement vacciné contre la myxomatose et la maladie virale hémorragique (rappel vaccinal 5 mois avant la présentation).
L’examen clinique révèle un animal en bon état de chair, vif et normohydraté. La température rectale est mesurée à 40.3°C. La palpation abdominale crâniale révèle un estomac distendu et induré. Un bilan biochimique est réalisé et révèle une augmentation modérée de l’urée (94.3 mg/dL [20-46]). Les radiographies révèlent un estomac de taille augmenté avec un contenu hétérogène normal. Une échographie abdominale est réalisée (Figure 1)
Questions
- Quel est votre diagnostic différentiel en cas d’hyperthermie chez un lapin ?
- A l’aide des données anamnestico-cliniques et des résultats des examens complémentaires, quel est votre diagnostic ?
- Quelle est votre approche thérapeutique immédiate ?
- Quels sont les facteurs de risque de cette maladie chez le lapin ?
Réponses
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Quel est votre diagnostic différentiel en cas d’hyperthermie chez un lapin ?
L’hyperthermie est une découverte clinique relativement rare chez le lapin puisque celle-ci est observée chez seulement 1.7 à 2.2% des lapins présentés en consultation. Une augmentation de la température corporelle est le plus souvent observée en cas d’infection virale (myxomatose, maladie virale hémorragique), d’infection bactérienne (otite, péritonite septique et appendicite) ou lors de coup de chaleur.
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A l’aide des données anamnestico-cliniques et des résultats des examens complémentaires, quel est votre diagnostic ?
L’échographie abdominale révèle (1) une dilatation gastrique par un contenu dense et atténuant de manière marquée le faisceau d’ultrasons (Figure 1.a.), (2) un épanchement péritonéal en quantité modérée avec une hyperéchogénicité diffuse de la graisse péritonéale (Figure 1.b.), et (3) une dilatation marquée de l’appendice vermiforme (diamètre total de 12 mm ) avec épaississement de la paroi (2 mm) associée à la présence d’un contenu organisé en filaments convergents depuis l’apex vers le centre et la jonction avec le cæcum (Figure 1.c.). Ces images permettent de diagnostiquer une inflammation de l’appendice vermiforme, ouapprendicite chez ce patient.
L’appendicite est une affection peu fréquente mais bien décrite chez le lapin. Elle est définie comme une inflammation aiguë ou chronique de l’appendice vermiforme. Cliniquement, les appendicites se manifestent le plus souvent par un syndrome gastrointestinal du lapin (baisse d’activité, diminution de l’appétit et de la production de selles) associé à une hyperthermie (56% des cas). Les radiographies révèlent généralement des signes non spécifiques tels qu’un estomac de taille augmentée avec un contenu alimentaire et une accumulation modérée de gaz ou la présence de gaz en quantité modérée dans le caecum. Le bilan sanguin peut révéler des anomalies tels qu’une hypoglycémie (46% des cas) et une hypocalcémie (72% des cas), associées à une anémie hypochrome régénérative(58% des cas). Le diagnostic de certitude est généralement obtenu par échographie.1
L’échographie abdominale permet de visualiser l’appendice vermiforme chez 95.2% des lapins sains avec un abord médian et/ou paramédian gauche dans l’abdomen moyen.2 L’appendice normal apparait comme une structure tubulaire avec une paroi en plusieurs couche, un contenu alimentaire, et une extrémité borgne et arrondie. L’épaisseur normale de la paroi de l’appendice varie entre 1.1 et 2.1 mm tandis que son diamètre varie normalement entre 3.9 et 8.8 mm. Il est à noter que l’épaisseur de la paroi est proportionnelle au diamètre de l’appendice vermiforme et inversement proportionnelle à l’âge de l’animal.2 En cas d’appendicite, l’échographie révèle des anomalies dans 78% des cas. Les anomalies les plus fréquentes incluent une augmentation du diamètre de l’appendice (9-14.5 mm), une augmentation de l’épaisseur de la paroi de l’appendice (2.3 à 4.8 mm), la présence de multiples foyers hyperéchogènes pariétaux, la perte de la structure en couche typique de la paroi (25% des cas) parfois associée à une couche interne hyperéchogène et une couche externe hypoéchogène, la présence de gaz (32% des cas) ou d’un contenu luminal fluide ou mucoïde (62% des cas). Une lymphadénomégalie mésentérique peut être présente (38% des cas) ainsi qu’un épanchement abdominal (25% des cas). Enfin, l’échographie peut révéler la présence de gaz dans l’estomac (26% des cas) et une dilatation gastrique dans 21% des cas.1
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Quelle est votre approche thérapeutique immédiate ?
Une stabilisation médicale est réalisée en contrôlant la douleur (p.ex. morphine 1 mg/kg SC q4h) et les proliférations bactériennes (p.ex. association de sulfamide triméthoprime 30 mg/kg PO q12h et de métronidazole 20 mg/kg PO q12h) tout en soutenant le fonctionnement du système digestif par l’administration de fluides (p.ex. NaCl 0.9% 5 mL/kg/h CRI IV), d’aliments à la seringue (p.ex. Oxbow Critical Care®, Emeraid herbivore sustain® ou Science Selective Recovery®, 10 mL/kg PO q6h) voire de prokinétiques (métoclopramide 0.5 mg/kg SC q8h) bien que leur efficacité soit controversée.
Une prise en charge médicale seule peut s’avérer insuffisante dans certains cas et le recours à une appendicectomie peut être nécessaire pour éviter le développement de complications telles que des ulcères gastro-intestinaux, une nécrose de l’appendice, une péritonite et le décès. Dans une série de cas le taux de survie 15 jours après le diagnostic d’appendicite était de 16% (n=1/6) en cas de traitement médical et de 63% (n=5/8) en cas de traitement chirurgical.1
L’appendicectomie chez le lapin est réalisée par laparotomie médiane. L’incision de la ligne blanche chez le lapin doit être réalisée avec précaution pour éviter la perforation accidentelle du tractus gastro-intestinal. L’appendice vermiforme est généralement facilement visualisé suite à l’incision de la ligne blanche en cas d’inflammation. Des compresses humidifiées sont placées autour de l’appendice et le repli iléo-cæcal est sectionné pour l’isoler (Figure 3). Le repli iléo-caecal est long et contient de nombreux petits vaisseaux de sorte que des techniques de radiochirurgie bipolaire sont recommandées pour l’excision du ligament.
Après l’excision du repli iléo-cæcal, une ou deux ligatures circonférentielles sont placées à la base de l’appendice (en ne laissant idéalement pas plus que 3 mm d’appendice). Une pince est placée distalement à la suture et l’appendice vermiforme est excisé. Une suture en croix ou des points de suture enfouissant sont réalisés avec un monofilament résorbable. L’existence de fuite est vérifiée et l’abdomen est rincé avec un liquide physiologique tiède puis refermé plan par plan. (Figure 4). Les traitements médicaux précédemment décrits seront poursuivis pendant la période post-opératoire.
4. Quels sont les facteurs de risque suspectés chez le lapin ?
L’appendicite est une maladie plus fréquemment rencontrée chez les lapins jeunes (âge médian au diagnostic de 2 ans) en l’été et en automne. Aucune prédisposition de sexe ou de race n’a été identifiée. La physiopathogénie de l’appendicite est controversée et deux théories sont généralement avancées : (1) une théorie infectieuse primaire et (2) une théorie obstructive. Dans cette situation, il est considéré que toute situation favorisant une obstruction de la lumière (caecolithe, processus tumoral, hyperplasie lymphoïde) et toute perturbation de la flore digestive (alimentation pauvre en fibre, riche en sucre) pourraient contribuer au développement d’une appendicite.
Références
1. Di Girolamo N, Petrini D, Szabo Z, Volait-Rosset L, Oglesbee BL, Nardini G, et al. Clinical, surgical, and pathological findings in client-owned rabbits with histologically confirmed appendicitis: 19 cases (2015-2019). J Am Vet Med Assoc. 2021;260(1):82-93.
2. Nicoletti A, Di Girolamo N, Zeyen U, Selleri P, Masi M, Fonti P. Ultrasound morphology of cecal appendix in pet rabbits. Journal of ultrasound. 2018;21(4):287-91.