AUTEURS DE L’ARTICLE
Dr Vet Charlotte Petit, DMV, service de Médecine Interne
Dr Vet Maud Girod, DMV, DipECVIM-CA, service de Médecine Interne
Le diabète sucré est une maladie métabolique provoquée par un déficit en insuline et/ou une résistance à l’insuline à l’origine d’une hyperglycémie persistante. C’est une pathologie fréquente chez le chat. Comme chez l’homme, le diabète sucré du chat est le plus souvent lié à un diabète de type 2 (dans 80 à 90% des cas), combinaison d’une insulinorésistance et d’une dysfonction des cellules bêta du pancréas.
La prise en charge des chats diabétiques passe habituellement par l’administration d’insuline par voie sous-cutanée 2 fois par jour ainsi que la mise en place d’une alimentation adaptée. Une rémission est possible chez certains chats. Un nouveau traitement du diabète félin est commercialisé depuis peu dans certains pays et devrait arriver en France très prochainement. Il s’agit d’un traitement oral de la famille des gliflozines, des inhibiteurs des co-transporteurs sodium-glucose de type 2 (SGLT-2), offrant ainsi une alternative aux propriétaires ne pouvant réaliser des injections biquotidiennes à leur chat.
1) Disponibilité et commercialisation
Les gliflozines ou inhibiteurs des transporteurs SGLT-2 (SGLT-2i), représentent une nouvelle classe de médicaments utilisée en médecine humaine en deuxième ligne pour le traitement des patients diabétiques de type 2.
En médecine vétérinaire, les gliflozines sont récemment entrés sur le marché comme alternative de traitement du diabète félin dans divers pays tels que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. Ils sont commercialisés par le laboratoire Elanco (BEXACATâ, Bexagliflozine, comprimés de 15 mg), approuvée par la FDA en décembre 2022 et par le laboratoire Boehringer sous une forme liquide (SENVELGOâ (Velagliflozine), 15 mg/ml) approuvée par la FDA en août 2023. En octobre 2023, le comité pour les produits de médecine vétérinaire (CVMP) a recommandé l’autorisation de la mise sur le marché du SENVELGOâ à l’agence européenne du médicament (EMA). Le médicament devrait donc être prochainement commercialisé en France sous réserve d’acceptation par la commission européenne (1).
2) Mécanisme d’action
L’objectif de l’utilisation des gliflozines est d’augmenter l’excrétion rénale du glucose afin de maintenir la glycémie en dessous d’une valeur acceptable.
Dans les conditions physiologiques, les reins ont un rôle essentiel dans l’homéostasie du glucose (3). Lorsque le glucose est filtré par les glomérules rénaux, les tubes contournés proximaux permettent sa réabsorption grâce à deux co-transporteurs spécifiques sodium-dépendants (SGLT). Les SGLT-2 sont présents dans la partie proximale des tubes contournés proximaux et sont responsables de plus de 90% de la réabsorption du glucose. Les SGLT-1 ont une capacité plus limitée et sont situés plus distalement dans les tubes contournés proximaux. Lors d’inhibition des SGLT-2, les SGLT-1 permettent néanmoins de limiter l’hypoglycémie (4, figure 1).
Figure 1 : Mécanisme physiologique de réabsorption du glucose (chez l’Homme) DeFronzo et al.(2)
Il a été démontré chez l’homme que les patients atteints de diabète de type 2 présentent une réabsorption accrue de glucose et de sodium médiée par les SGLT2, contribuant ainsi à maintenir et à aggraver l’hyperglycémie.
Ainsi, en bloquant l’action des SGLT2, les gliflozines provoquent l’élimination d’une plus grande quantité de glucose par l’urine, réduisant alors les niveaux de glucose dans le sang par un mécanisme indépendant de l’insuline.
L’insuline est l’hormone responsable de l’inhibition de la lipolyse et de l’oxydation lipidique mais aussi de l’utilisation cellulaire de glucose et des corps cétoniques. Lors de diabète sucré, les acides gras libres sont donc libérés en grande quantité par de le phénomène de lipolyse. Suite à leur oxydation, des corps cétoniques sont produits en grande quantité et s’accumulent en raison de leur non-utilisation, ce qui mène l’organisme à la cétose. De la même façon, le glucose n’étant pas utilisé par les cellules et sa production augmentant sous l’action du cortisol et des catécholamines, la glycémie augmente considérablement.
L’utilisation des gliflozines en monothérapie ne permet de prendre en charge que l’hyperglycémie parmi les multiples désordres métaboliques engendrés par le déficit ou la résistance à l’insuline.
3) Efficacité et avantages
A ce jour, seules quelques études ont été publiées concernant l’utilisation des gliflozines chez le chat diabétique. Le plus grand essai clinique se base sur la mise en place de Bexagliflozine en monothérapie chez 84 chats nouvellement diagnostiqués diabétiques (6). Le traitement a permis une diminution rapide de la glycémie sous 8h après administration du traitement. Au contrôle à 8 semaines, 57% des chats étaient normoglycémiques, 45% présentaient une fructosamine dans les normes et 68% ne démontrait pas d’augmentation de la concentration sérique en corps cétoniques. Pour la plupart des chats, les propriétaires rapportent une amélioration dans la qualité de vie avec une réduction de la polyuro-polydipsie, une amélioration de la musculature et de la qualité du poil. Au total, le traitement a été considéré comme un succès pour 84% des chats.
Une utilisation conjointe du gliflozine avec l’insulinothérapie dans le cas de chat diabétiques non équilibrés a également été étudiée (4). Une diminution de la dose de l’insuline a pu être effectuée allant jusqu’à l’arrêt de l’insulinothérapie pour 2 des 5 chats étudiés sur les 4 semaines d’essai clinique.
Les avantages de ce traitement portent surtout sur sa facilité d’administration et sa sécurité d’emploi. En effet, l’administration se fait par voie orale seulement une fois par jour à horaire plus ou moins fixe. Les risques d’hypoglycémie symptomatique restent réduits. Dans les études précédemment citées (4,6), aucun des chats n’a montré d’épisode d’hypoglycémie clinique ce qui reste un des effets secondaires les plus graves et fréquents lors d’administration d’insuline. Le dosage est simple en fonction du poids et ne nécessite pas d’ajustement ou de courbe de glycémie. La glycémie est rapidement contrôlée sous quelques jours. Le stockage ne nécessite pas de réfrigération contrairement à l’insuline. Par ailleurs, la consommation de seringues en plastique est drastiquement réduite.
4) Limites et effets secondaires
Si ce traitement a de nombreux avantages en termes de praticité, il présente aussi certaines limites et des effets secondaires ont été observés. Ainsi, les troubles digestifs (vomissements, diarrhée, anorexie, léthargie ou encore déshydratation) sont les plus fréquemment rapportés mais sont auto-limitants dans la plupart des cas.
Par ailleurs, le traitement étant à l’origine d’une glycosurie, des infections urinaires ont été notées chez 12% des chats sur les premiers 6 mois de traitement (6). La diurèse osmotique induite par la glucosurie explique la persistance d’une polyuro-polydispie et augmentant le risque de déshydratation. D’autre part, deux cas de lipidose hépatique et 1 cas de pancréatite ont été rapportés mais le lien et/ou le mécanisme physiopathologique sous-jacent reste inconnu à ce jour. Certains signes cliniques tels que la polyphagie ou des troubles neurologiques restent présents chez les chats sous traitement. La persistance de la polyphagie peut s’expliquer par la perte d’énergie dans les urines sous forme de glucose. Quant aux signes neurologiques, ils peuvent s’avérer non réversibles identiquement aux chats sous insuline.
Enfin, des formes de diabète acido-cétosique hyperglycémiques mais aussi normoglycémiques ont été notées chez 4 des 84 chats étudiés (6). Le risque de développer un diabète acido-cétosique semble être augmenté lors de déshydratation ou si une alimentation pauvre en hydrate de carbone est administrée.
Ainsi, il est important de se souvenir qu’un diabète acido-cétosique peut se développer chez ces chats traités par les gliflozines et cela même si la glycémie est dans les normes. Un suivi du pH sanguin et la cétonurie est indispensable, surtout en présence de signes de déshydratation, d’abattement ou d’anorexie.
Pour cette dernière raison, tous les patients félins diabétiques ne sont pas de bons candidats au traitement. En effet, si la part d’insulinodépendance et plus importante que la part d’insulinorésistance, les risques de diabète acido-cétosiques sont théoriquement accrus chez les patients sous gliflozines en comparaison aux chats sous insuline.
Pour finir, une évaluation préalable du pancréas, des reins, du foie et du statut acido-cétosique est nécessaire avant d’initier le traitement car des anomalies majeures représenteraient une contrindication à sa mise en place.
En conclusion, les gliflozines (SGLT-2i) constituent un nouveau traitement très prometteur chez le chat atteint de diabète sucré particulièrement en raison de sa praticité lorsque que l’insulinothérapie est trop difficile à mettre en place. Cependant, tous les chats diabétiques ne sont pas de bons candidats au traitement. Une sélection des animaux traités aux SGLT2i est nécessaire afin de diminuer les risques d’effets secondaires et notamment les épisodes acido-cétosiques hyper- ou normoglycémiques.
1. Senvelgo: Pending EC decision | European Medicines Agency [Internet]. [cité 25 nov 2023]. Disponible sur: https://www.ema.europa.eu/en/medicines/veterinary/summaries-opinion/senvelgo
2. DeFronzo RA, Norton L, Abdul-Ghani M. Renal, metabolic and cardiovascular considerations of SGLT2 inhibition. Nat Rev Nephrol. janv 2017;13(1):11‑26.
3. Hoenig M, Clark M, Schaeffer DJ, Reiche D. Effects of the sodium-glucose cotransporter 2 (SGLT2) inhibitor velagliflozin, a new drug with therapeutic potential to treat diabetes in cats. J Vet Pharmacol Ther. avr 2018;41(2):266‑73.
4. Benedict SL, Mahony OM, McKee TS, Bergman PJ. Evaluation of bexagliflozin in cats with poorly regulated diabetes mellitus. Can J Vet Res. janv 2022;86(1):52‑8.
5. El-Remessy AB. Diabetic Ketoacidosis Management: Updates and Challenges for Specific Patient Population. Endocrines. 8 déc 2022;3(4):801‑12.
6. Hadd MJ, Bienhoff SE, Little SE, Geller S, Ogne-Stevenson J, Dupree TJ, et al. Safety and effectiveness of the sodium-glucose cotransporter inhibitor bexagliflozin in cats newly diagnosed with diabetes mellitus. J Vet Intern Med. 2023;37(3):915‑24.